27.8.10

Penultima (15-21 août)

Penultima (15-21 août)

Est-ce la poussière de la place du village ? Est-ce le soleil tapant sur nos crânes gémissants ? Toujours est-il que j'ai l'intime conviction de ne pas me souvenir de tout. Et tenter de retrouver la mémoire dix jours après n'aide en rien.
Mais essayons, vous pardonnerez, j'espère, les lacunes, les omissions, les affabulations.

Mardi, session four. Nous recevons Pépé le Boulanger, indéfectible fournisseur, pour checker l'état du four collectif, afin de savoir si, oui ou non, nous allons pouvoir cuire pains, pizzas, empanados et autres trucs bons. Petite session coupage de bois, les fourrés alentours résonnent de craquements, de jurons, du flic-floc assourdissant des gouttes de sueur s'écrasant sur la terre exsangue ou l'asphalte brûlant.
Heureusement, Pépé est ponctuel. Quelques branches, une allumette, et verdict :
la couche d'argile interne du four est à refaire
les roches plates sur lesquelles seront posé les pains se sont affaissées et fissurées. Il faut donc remonter la première au cric, et boucher la fissure de l'autre avec de l'argile.
le coin à gauche de la bouche du four est à démonter (virer les pierres), et remonter, car le Temps (ennemi juré des boulangers amateurs) a fissuré les joints d'argile et décalé les pierres.
Le dessus du four est encore recouvert de poussière, broussailles, caillasses, qu'il faudrait enlever, en sachant qu'il est fort possible que cela découvre de nouvelles fissures.
Conclusion : pas de pain cuit au four pour cet été, mais un beau chantier en perspective pour l'été prochain. Avis aux amateurs...
Pendant que nous regardions flamber le four, Pépé nous a raconté un peu de sa vie de boulanger. Fils de boulanger, il mélange, pétrit, cuit, et vend depuis un âge de loin inférieur aux normes aujourd'hui en vigueur. Du temps où l'asphalte n'arrivait pas encore à Saumede, il venait à cheval jusque ici, balloté entre deux paniers d'osier remplis de pains suffisamment costauds pour tenir jusqu'à son prochain passage. Il arrivait systématiquement en retard à l'école, et se souvient de ces matînées de tournée, au coeur de l'hiver, avec une nostalgie encore empreinte de la morsure du froid.
Quand il est parti, le four ronronnait encore avec entrain. Nous ne pouvions l'éteindre (car l'eau est assurément le pire ennemi du four en pierre), nous décidâmes de profiter de sa longue agonie pour cuire notre repas du soir, un festival de viande de cochon marinée et de patates en robe d'alu.

Autre fait marquant dont je me souviens : l'arrivée, à cheval sur sa petite reine, d'Arthur, en direct live du festival Andaças, cuit et recuit par je ne sais combien de pédalages frénétiques sur des nationales portugaises, puis galiciennes.

En tant que point névralgique de la culture d'arrière et d'avant garde, Saumede se devait d'abriter en ses murs un musée. Ce fut chose faite, grâce au travail tout aussi patient que poussiéreux d'Emilie et Marie Sam, qui ont déblayé l'étable juste à droite des greniers de derrière, et l'ont garnie de diverses curiosités trouvées à l'intérieur des maisons. Au milieu de cet inventaire à la Prévert (vaisselle, meubles, clefs, vêtements), une carte d'identité d'une Sra Pera, née à Saumede même, en l'an de grâce 1897 ; deux clichés délavés d'un jeune homme à cheval, devant ce qui semblerait être la façade d'une maison en Argentine (notre premier contact visuel avec un de ses fantômes partis de Saumede jusqu'aux antipodes pour fuir la faim et le franquisme) et un machin sans forme et sans identité, que nous cessâmes de prendre pour l'animal de compagnie de Cronenberg lorsque la tante de Manuela nous apprit qu'il s'agissait des restes d'un bât. La classe...
Ce cabinet de curiosités fut ensuite le théâtre d'un cours de langues endiablé lors duquel nous confectionnâmes la batterie d'étiquettes afférentes à tous ces objets en castillan, galicien, français, anglais, italien, portugais.

Et en tant que centre d'investigation et promotion de la festivité de tout poil, Saumede se devait de clore cet été par une fête digne de ce nom. Ce qui fut fait le samedi 21, jour de la Saint Samos.
Il y eut une exposition des travaux artistiques réalisés sur, entre ou autour des murs du village. Donc peintures, photos, et vidéos. Il y eut des visites guidées, d'oeuvre en oeuvre, jusqu'au Cabinet de curiosités. Il y eut des parties de pétanques âpres et sonores. Et, le clou du spectacle, une énième exclusivité de Saumede : le premier concours mondial de Likor Café. Dégustation à l'aveugle de plusieurs productions locales, attribution des notes, doutes, claquements de langue, demandes de confirmation, débat : une ambiance studieuse, à l'objectivité presque palpable. Après moultes tergiversations, un vainqueur fut désigné. Un vainqueur anonyme, un autre mystère saumedien, à qui notre commission d'experts à remis son diplôme un soir de pleine lune, non loin du plus haut chêne de Galice. Cette victoire fut célébrée en chansons, et encore une fois, la nuit autrefois silencieuse s'est étirée, étirée entre les éclats de voix, les rires, les notes aproximatives d'un banjo (ou peut-être un ukulélé).
Le lendemain, de bon pied bon oeil, rendez-vous au Cocho, ode gastronomique et villageoise au cochon. C'est l'occasion pour Mme la Maire de présenter officiellement, en chair et en os, ces fameux « Franceses de Saumede » à l'ensemble du village, d'expliquer notre projet, et de dissiper doutes et rumeurs. Présentation conclue par une salve d'appalaudissements qui en dit long sur l'acceptation de notre projet au sein de la commune d'A Bola. Integração, integração...

En parlant d'integração, une nouvelle d'importance : nous avons la confirmation que nous pouvons louer la maison restaurée (tout à droite du village, la seule maison habitable de Saumede) pour un an au moins. La vie ne s'éteint pas avec la fin de l'été à Saumede, plusieurs de nos companheiros pourront donc rester sur place jusqu'à l'été prochain. Les premiers arrivants devraient prendre possession des lieux début septembre.
Pour citer un Saumedien souhaitant conserver l'anonymat : « V'là la bonne nouvelle ! ».